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L’esprit guerrier: le renouvellement du rôle social de l’armée de Terre 1/3

BRENNUS 4.0
Engagement opérationnel
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«Dans l’existence on ne réussit que si l’on est obsédé par une idée. Actuellement vous devez être obsédés par votre rentrée dans la bataille. Mais à partir du moment où vous aurez mis le pied sur la terre française, soyez obsédés par la conviction que nous ne nous relèverons pas avec des paroles ou des affirmations. Il nous faudra un effort gigantesque ».[1] C’est en ces termes que le Maréchal Leclerc s’adressait aux officiers de la 2e division blindée réunis dans son quartier général de Dalton Hall en Angleterre le 21 juin 1944, à quelques semaines de leur engagement.


Cet esprit guerrier était annonciateur des victoires tactiques des Forces françaises libres qui allaient permettre à la France de trouver sa place dans le camp des vainqueurs. Il tranche, en l’espace de seulement quelques années, avec la sidération qui prévalait entre le 13 et le 15 mai 1940 dans les combats au Sud de Sedan, qu’illustre par exemple l’avortement de la contre-attaque de la deuxième armée.

Cet esprit guerrier relève d’une force intérieure, à la fois ultime dans la confrontation concrète à la mort qu’elle implique et transcendante, car permettant de tendre tout son être vers la vic-toire. Il n’a de sens que collectivement, la fonction de guerrier servant par définition une com-munauté. Il essentialise par ces trois aspects l’esprit combattant. Au sein de la société française d’aujourd’hui, cette disposition chan-geante prend une intensité encore différente de 1940 ou 1944. Dans un «environnement qui remet en cause les certitudes et les repèresde trois décennies » sur le plan stratégique[2], il paraît prudent d’analyser cette courbe sinu-soïdale des forces morales. L’armée de Terre y accorde une attention toute particulière. Elle a ainsi identifié plusieurs dimensions que sont l’aguerrissement, l’utilisation de la technologie, l’honneur et les traditions. Comment s’articulent-ellesen un tout cohérent ? Leur portée est-elle strictement tactique? Comment en générer les effets attendus ?

Dans le contexte actuel où le durcissement des rapports stratégiques menace la paix, il apparaît extrêmement dangereux pour la Nation française de perdre de vue l’esprit guerrier. Par la persistance de son engagement au contact de l’ennemi, l’armée de Terre dispose de ce précieux capital et en particulier de son cadre moral. Cette conjoncture ouvre une page nouvelle du rôle social des militaires, en l’absence duquel toute victoire tactique risque de se révéler vaine.

Il paraît incontournable d’observer d’abord les faits concrets, c’est-à-dire d’étudier l’évolution des fondamentaux de l’esprit guerrier au sein de l’armée de Terre sous l’effet du cadre d’engagement tactique récent. Cet état des lieux appelle ensuite une mise en perspective à l’aune du contexte militaire, sociologique et national. Elle dessine un rôle social original pour l’armée de Terre dans le développement, la maîtrise et le partage de ce formidable pouvoir.

 

Etat des lieux: relire Ardant du Picq au fil des trois dernières décennies

Dans le cadre d’engagement tactique et opé-ratif des dernières décennies, trois facteurs sont venus façonner l’esprit guerrier de l’armée de Terre d’aujourd’hui: la dilution du choc des masses, la prégnance accrue de la technologie et la persistance de l’exposition au feu des niveaux sub-tactiques.

 

La dilution du choc des masses

L’emploi récent des forces constitue le premier facteur interne structurant l’esprit guerrier. Il se caractérise par la dilution du choc des masses et induit un risque de conditionnement à une forme trop conjoncturelle du combat.

Le mécanisme opère à deux niveaux car toute disposition psychique comporte d’une part une composante héritée et d’autre part une composante développée en propre par l’individu, en fonction de son expérience. Concernant l’héritage du capital guerrier, les armées françaises disposent de solides atouts à travers l’exercice des traditions, avec des références qui transcendent les époques, comme en témoigne les racines du 1er Régiment d’Infanterie remontant à 1479 et lui permettant de prétendre au titre de plus vieux régiment du monde. Néanmoins, le risque de fragilisation des fondamentaux ne doit pas être mésestimé. En effet, la remontée en puis-sance de la Force opérationnelle terrestre décidée en 2015 à la suite des attentats a entrainé un effet pervers de rajeunissement et de sous-encadrement, nuisible à la transmission du capital guerrier. Mais surtout, l’esprit guerrier développé en propre par la génération actuellement sous les drapeaux a été façonné par les types de conflit auxquels elle a été confrontée. Le dernier scénario reposant sur la bataille décisive chère à Clausewitz[3] et le choc des masses remonte ainsi à l’opération Daguet en 1991. Depuis, les engagements se sont inscrits dans une trajectoire d’interposition, de contre-insurrection, puis de contre-terrorisme avec un rapport à l’ennemi moins direct. Celui-ci a modifié en cascade les conditions de la victoire, le combat et l’esprit guerrier. L’émergence du concept du pion insubmersible[4] illustre bien cette conjoncture. Cette situation laisse moins de place à l’expression des ressorts absolus du guerrier qu’illustre Ardant du Picq: «tiens quelques minutes, un instant de plus, et tu es vainqueur»[5]. Cette variation du cadre d’engagement tactique et surtout opératif ne constitue absolument pas un cas isolé. Néanmoins, plusieurs épisodes appellent à la vigilance. En 2006, l’armée israélienne, dont le quotidien s’était focalisé sur les opérations de police et de contre-terrorisme dans les territoires occupés, a ainsi rencontré de grandes difficultés dans des combats de plus haute intensité contre un Hezbollah militarisé.[6]

 

Ne pas subir la technologie

Le second facteur influant sur l’esprit guerrier réside dans l’uti-lisation de la haute technologie. Elle représente certes un risque, mais surtout une opportunité.

De prime abord, la facilité permise par la technologie s’oppose à l’appropriation de l’esprit guerrier qui passe par la capacité à évoluer en dehors d’une zone de confort. En outre, elle induit une distance toujours plus grande entre le combattant et son ennemi. Elle dilue ainsi la peur engendrée par l’exposition à une violence extrême sur le champ de bataille, et réduit ce faisant la dose de courage nécessaire à l’individu pour se mobiliser. Aussi, elle ne peut être sans conséquence sur la force morale qualitative d’une armée. Cette prégnance de la techno-logie dans les esprits s’est notamment traduite par le concept de «révolution dans les affaires militaires»[7] qui a conduit à de fortes désillusions de la part des armées occidentales, notamment en Afghanistan à partir de 2001 et en Iraq à partir de 2003[8]. Faut-il en conclure à une antinomie? Bien au contraire, car «l’homme ne combat point pour la lutte, mais pour la victoire», toujours selon Ardant du Picq[9]. Dans cette conception réaliste, son devoir est de créer en permanence les conditions de la supériorité. Cette exigence passe par la complémentarité entre la rusticité et l’innovation, dans une logique de «recherche incessante de la perfection» chère à David Stir-ling, créateur du SAS[10]. De nos jours, le guerrier ne doit pas ignorer ce qu’il peut demander à une intelligence artificielle, aux capacités spatiales ou cybernétiques. A défaut, lorsque les confrontations imminentes avec des robots se concrétiseront, c’est le même sentiment d’inanité qui risque de prévaloir à l’image de la puissance de feu en 1914[11].

Par la spécificité de l’engagement terrestre, l’armée de Terre a entretenu dans ses échelons subtactiques des gisements d’esprit guerrier reconnus. Ils constituent un atout pour prépare l’avenir.

En effet, l’intensité du combat et le paroxysme de la violence se sont déconcentrés aux échelons les plus bas. Ce constat s’explique par les spécificités du milieu terrestre, qu’illustrent bien les opérations Serval et Barkhane au MALI. Si le rapport de force n’a jamais été remis en cause au niveau opératif ou tactique, il l’est parfois au niveau de la section, occasionnellement au niveau du groupe et toujours au niveau du trinôme et de l’individu dans les derniers mètres de l’assaut. Le terrain chaotique, dans les thalwegs et les grottes de l’Amettetaï, dans les constructions de Kidal, ou encore dans la savane du Burkina Fasso, isole ces petits échelons. Ce phénomène est renforcé par la présence de la population qui rend le rôle de l’homme au sol absolument incontournable. En outre, la fanatisation de l’ennemi, coutumier de l’explosion suicide à la grenade à ce moment critique renforce le danger[12]. Dans ces conditions, «les batailles, plus que jamais aujourd’hui, sont des batailles de soldats, de capitaines»[13]. De fait, les états de service de certains sous-officiers les plus décorés reflètent une expérience de plus de quatre-vingts assauts dont le nombre est compa-rable avec les pages les plus violentes du XXe siècle. Il résulte de tous ces paramètres que c’est d’abord dans son entourage immédiat, interne au régiment, que le soldat cultive son esprit guerrier, qu’il continue à se confronter à la violence absolue, à la peur qu’elle induit, à la confiance qu’elle génère et à la discipline qu’elle exige.

En synthèse, l’esprit guerrier de l’armée de Terre se retrouve largement conditionné par le cadre d’engagement des trois dernières décennies. Cette évolution apparaît moins sensible aux échelons subtactiques, pour lesquels les durs fondamen-taux du combat persistent en raison des caractéristiques du milieu terrestre. Ce capital précieux est-t-il adapté aux défis qu’annonce le prochain cycle stratégique?

 

[1] Général Jean COMPAGNON, LECLERC Maréchal de France, Paris, Editions XXX, p. 363.

[2] Délégation à l’Information et la Communication de Défense (DICoD), Revue stratégique de défense et de sécurité, Octobre 2017, p.6.

[3] Carl von CLAUSEWITZ, De la guerre, Paris, Editions Perrin, coll. «Tempus», 2006.

[4] Il consiste à générer une force suffisamment robuste en volume et en appuis pour rendre le risque de perte d’ascen-dant collectif quasiment nul. Il n’exclut pas les pertes.

[5] Charles ARDANT DU PICQ, Etudes sur le combat. Combat antique et combat moderne, Paris, Editions Ivrea, coll. «Champ Libre», 1999, p. 51.

[6] Michel GOYA et Marc-Antoine BRILLANT, Israël contre le Hezbollah : Chronique d'une défaite annoncée 12 juillet - 14 août 2006, Paris, Editions du Rocher, 2013.

[7] Ou «Revolution in Military Affairs» concept utilisé pour la première fois en 1993 par Andrew W. Marshall, président de l’Office of Net Assessment, après la fin de la guerre du Golfe, pour définir un changement majeur dans la nature de la guerre suite à l’application de nouvelles technologies.

[8] Arnaud DE LA GRANGE et Jean-Marc BALENCIE, Les guerres bâtardes. Comment l’Occident perd les batailles du XXIe siècle, Paris, Editions Perrin, coll. «Tempus», 2009.

[9] Charles ARDANT DU PICQ, op. cit., p. 51.

[10] Créé en 1941, le Special Air Service est rapidement parve-nu à allier les techniques les plus poussées comme la mise à terre par saut en parachute et la rusticité imposée par les com-bats en arrière des lignes ennemies.

[11] «Tactiquement, la révélation de la puissance du feu rend caduque, à l’instant même les doctrines en vigueur. Morale-ment, les illusions dont on s’était cuirassé, sont emportées en un clin d’œil.» in Charles DE GAULLE, Le Fil de l’épée et autres écrits, Paris, Editions Plon, 1994, p. 478 – 479.

[12] Lire par exemple, «Les forces spéciales dans le Timetrine» in Jean-Christophe NOTIN, La guerre de la France au Mali, Pa-ris, Editions Tallandier, 2014, p. 448.

[13] Charles ARDANT DU PICQ, op. cit., p. 57.

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Titre : L’esprit guerrier: le renouvellement du rôle social de l’armée de Terre 1/3
Auteur(s) : le chef de bataillon Erwin BRUDER de l’Ecole de Guerre-Terre
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