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L’étude des méthodes de Lyautey au Maroc. Quels enseignements pour l’AMO en 2018 ? 1/4

Revue militaire générale n°54
Histoire & stratégie
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« Ce que nous voulons, c’est associer sans absorber, guider sans administrer, aller vers le progrès sans déformer. » Ce slogan, dont le maréchal Lyautey avait fait son leitmotiv au Maroc, prend un relief nouveau alors que l’armée de Terre vient de créer un commandement de l’appui militaire opérationnel (AMO). En effet, l’AMO consiste en l’apport à une force armée de savoir, de savoir-faire et d’expérience en matière de défense et d’engagement opérationnel,  en vue de permettre à un État allié de retrouver la capacité à assurer pleinement ses fonctions régaliennes. Dès lors, les chefs de bataillon BURTIN, de LASTOURS et THELLIER s’interrogent sur la possibilité de reprendre les principes ayant guidé l’action de Lyautey au Maroc il y a plus d’un siècle, afin de bâtir une doctrine réaliste de l’AMO, sans tomber dans l’anachronisme ou la reproduction caricaturale d’une réalité historique complexe.


Effondré militairement depuis la bataille d’Isly perdue face à la France en 1844, l’empire chérifien a été placé sous contrôle international par la conférence de Madrid en 1880. Il subit depuis lors les ambitions concurrentes des puissances européennes.

Le sultan Moulay Abd-El-Hafid, qui contrôle mal la situation intérieure, finit par se retrouver assiégé à Fès et sollicite en 1911 l’aide française. Le 30 mars 1912 est signé le traité de Fès qui instaure le protectorat français sur l’empire chérifien. Le maréchal Lyautey en est nommé Résident général le 28 avril 1912. Ce poste, qu’il occupera jusqu’en 1925, le rend « dépositaire de tous les pouvoirs de la République au Maroc ».

À son arrivée en tant que Résident général, Lyautey est confronté à un Maroc encore instable, où les tribus du sud luttent ouvertement contre l’autorité du Sultan. La France lui envoie des troupes pour rétablir l’ordre.

Il apparaît que les méthodes de Lyautey au Maroc constituent aujourd’hui une véritable source d’inspiration dans le domaine de l’AMO, en ce qu’elles témoignent d’un « esprit Lyautey » singulièrement tourné vers la compréhension, la responsabilisation et l’influence du partenaire.

Le maréchal Lyautey se distingue avant tout par l’amalgame de méthodes traditionnelles et innovantes qu’il a su mettre en œuvre avec une efficacité réelle durant les années où il a exercé les fonctions de Résident général du Maroc. Pour autant, il serait à la fois illusoire et néfaste de tenter d’appliquer mécaniquement les procédés et moyens utilisés à l’époque aux situations que les armées françaises rencontrent désormais dans le cadre des différentes opérations conduites au profit de leurs alliés. Il n’en demeure pas moins que les principes dégagés par Lyautey, en matière de connaissance du milieu, de positionnement vis-à-vis du partenaire ou encore d’approche globale, ont conservé toute leur pertinence et semblent pouvoir avantageusement guider non seulement l’action des chefs de détachement d’AMO, mais aussi celle de l’ensemble des chefs tactiques de demain.

 

Des méthodes à la fois traditionnelles et révolutionnaires pour l’époque.

« Il est à prévoir, et je le crois comme une vérité historique, que dans un temps plus ou moins lointain, l’Afrique du Nord, évoluée, civilisée, vivant de sa vie autonome, se détachera de la métropole. Il faut qu’à ce moment-là– et ce doit être le but suprême de notre politique – cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent à se tourner avec affection vers la France. » Maréchal Lyautey.

 

Profondément marqué par ses différentes expériences au Tonkin et à Madagascar où il met en pratique les méthodes de Gallieni, ainsi qu’en Algérie où il se montre sévère vis-à-vis des méthodes d’assimilation de la France, le maréchal Lyautey en a tiré des enseignements qu’il met en œuvre dès sa nomination au poste de Résident général du Maroc afin de reconstruire le pays par le ralliement de ses tribus plutôt que par la seule contrainte.

 

Une combinaison optimale de troupes d’origine et de nature différentes

Disposer de troupes régulières pour pacifier le Maroc et rétablir l’autorité du Sultan est un des premiers défis que Lyautey doit relever.  En arrivant,  il dispose principalement de légionnaires, de coloniaux et de troupes algériennes. Il doit donc reconstruire une armée locale pour prendre la relève après leur rembarquement, de ces éléments venus rétablir l’ordre. Il forme ainsi des troupes auxiliaires dont certains éléments sont issus de l’ancienne armée chérifienne.  Ces nouvelles unités de chasseurs indigènes deviendront ultérieurement des régiments de spahis (cavalerie) ou de tirailleurs (infanterie) marocains. Composées d’engagés volontaires, elles sont à leur création fortement encadrées par du personnel français (ainsi qu’algérien et tunisien, mais en plus faible proportion). Unités supplétives à l’origine, elles sont progressivement régularisées au point d’être, pour nombre d’entre elles, envoyées sur le sol métropolitain lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale.

 

En plus de ces troupes régulières, le Résident général met sur pied des goums dont l’ancrage territorial permet de recruter parmi les tribus locales fraîchement soumises. Créées par le général d’Amade sur un modèle utilisé en Algérie, ces unités supplétives ont une mission qui peut être rapprochée de celle d’une force de sécurité intérieure. Armant des postes de taille variable à travers le territoire, elles contribuent de façon directe à l’extension de la zone contrôlée par les forces de Lyautey.

« Milices marocaines » profitant de l’esprit de tribu et vivant en famille dans leur zone d’origine, elles restent au contact des tribus dissidentes après le départ des troupes régulières. Commandés par un officier des Affaires Indigènes - parlant la langue -assisté par trois lieutenants et cinq sous-officiers français, ces goums mixtes, comportant l’équivalent de trois sections d’infanterie et d’un peloton de cavalerie, constituent à la fois des outils de rayonnement, d’influence, de souveraineté et de renseignement.

 

En complément, face à la nécessité de disposer d’éléments de manœuvre réactifs et aux capacités variées, Lyautey utilise des « groupes mobiles » qui sont mis sur pied dès 1912 par le général Poeymirau, adjoint opérations du Résident général. Ces unités mixtes sont constituées de trois bataillons d’infanterie (un de Légion, un de tirailleurs et un de troupes coloniales) accompagnés d’un escadron de cavaliers de Légion ou de spahis qui leur donne une capacité de reconnaissance, et appuyés par quelques canons de montagne de 65 qui leur permettent sans entraver leur mobilité, de disposer d’une bonne puissance de feu face aux remparts rocailleux de l’Atlas. Ces ancêtres du GTIA se révèlent à partir de leur création, comme des outils particulièrement adaptés à la soumission des tribus préalablement à la levée d’un goum.

 

Un précurseur de « l’approche globale »

Convaincu que l’outil militaire  n’est qu’un moyen de parvenir à son objectif, le maréchal pratique une action véritablement multidimensionnelle, entièrement orientée vers le soutien de son projet politique de pacification en s’appuyant notamment sur le corps des contrôleurs civils et les Affaires indigènes, institutions qu’il a créées en sélectionnant des individus formés à ses méthodes et aptes à les mettre en œuvre. Appliquant sa consigne «une ferme ou un chantier valent un bataillon», Lyautey pacifie les zones insoumises en même temps qu’il restaure le Makhzen, construit des villes modernes à proximité des médinas, ainsi que des ports en eaux profondes. Seule cette conjonction de la force militaire subordonnée à une action politique avec des actions simultanées au profit des populations dans les champs économique et social permet ainsi d’obtenir un résultat durable. La période de la Première Guerre mondiale sera d’ailleurs marquée par un net effort commercial pour dynamiser l’économie du pays, tandis quela France est concentrée sur des problématiques militaires.

En effet dans l’esprit de Lyautey, la réalisation d’une pacification réelle et pérenne ne peut s’affranchir de l’adhésion des populations.  Or, celle- ci ne peut s’obtenir que de façon temporaire en utilisant uniquement la contrainte. Ainsi, plutôt que de vaincre les tribus rebelles, Lyautey les retourne à son avantage après un travail d’influence qui se solde souvent par un baroud d’honneur symbolique offrant une porte de sortie honorable à tous. Cela apporte le double bénéfice d’économiser les troupes dont il dispose - car les combats sont certes violents, mais brefs - et de constituer rapidement des unités prêtes au combat dès que les tribus se sont ralliées. Cette façon de procéder permet à Lyautey de bâtir l’unité du pays sur ces « …Marocains soumis de la veille mais gagnés pour toujours ».

 

Ainsi, le maréchal Lyautey reprend et perfectionne la méthode de la « tache d’huile » apprise auprès de Gallieni dont il a su apprécier et poursuivre les succès au Tonkin et à Madagascar. Cette méthode consiste à « …ne gagner  du terrain en avant qu’après avoir complétement organisé celui qu’on laisse en arrière ». Face à l’immensité de la tâche à accomplir, il crée au fur et à mesure de la pacification du pays, des chapelets de postes qui rayonnent à la frontière de la zone pacifiée. Consolidant ainsi le terrain tenu, il peut, sur des appuis solides, étendre la zone contrôlée par capillarité. En effet, lorsque sont assurés la protection des tribus et leur développement, les populations voisines manifestent à leur tour un désir d’inclusion ce qui permet d’étendre plus facilement la zone pacifiée. Au Maroc, ce mode d’action conduit de manière simultanée dans plusieurs régions, se traduit par la constitution de « cercles », circonscriptions administratives correspondant aux différentes « taches d’huile » en cours d’extension grâce à cette combinaison d’actions de force et de construction.

 

À l’inverse,  la méthode uniquement coercitive utilisée par Pétain pour pacifier le Rif en 1925 n’obtiendra pas les mêmes résultats, puisque l’utilisation de la seule force permettra certes de gagner la guerre en moins d’un an, mais pas de rallier les populations. Ainsi, le Rif marocain, l’une des régions n’ayant pas été pacifiée par Lyautey, restera en marge du développement économique du pays jusqu’à récemment, en raison du ressentiment aigu que la région gardait envers la France et surtout envers le Sultan, considéré localement comme la marionnette de Paris. La campagne du Rif semble donc mettre en évidence la pertinence des méthodes de Lyautey, même si l’on doit noter un changement de paradigme en ce que cette lutte menée par Abd El Krim marquait pour la première fois une rébellion nationaliste là où il s’agissait auparavant de « barouds » de tribus isolées.

 
 

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Titre : L’étude des méthodes de Lyautey au Maroc. Quels enseignements pour l’AMO en 2018 ? 1/4
Auteur(s) : les chefs de bataillon BURTIN, de LASTOURS et THELLIER
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