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Le battement d’ailes d’un papillon en France, une tornade en Chine…

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Histoire & stratégie
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Si la décision du gouvernement chinois d’envoyer des contingents de travailleurs aux côtés des Alliés pendant la Grande Guerre peut sembler anecdotique, elle fut néanmoins le déclencheur d’événements politiques majeurs en Chine, dès 1919. Frustrés dans leurs prétentions à recouvrer une partie de leur territoire national, beaucoup de Chinois furent révoltés et leur gouvernement refusa de signer le traité de Versailles. Le chef d’escadron Pierson nous montre comment, selon lui, une conscience politique chinoise émergea de cette histoire peu connue, se concrétisant par le réveil du nationalisme et l’annonce du communisme.


Il y a tout juste un siècle, en août 1916, le premier contingent de travailleurs volontaires chinois débarqua à Marseille. Ceux-ci avaient été recrutés dans le cadre d’un contrat, signé le 14 mai 1916, entre la France et la compagnie chinoise Huimin[1].

À cette époque, la guerre en Europe s’enlisait: les pertes humaines engendrées par ce premier conflit mondial étaient sévères et les hommes valides étaient mobilisés pour partir au front. La France, la Grande Bretagne et la Russie avaient donc besoin de main d’œuvre pour décharger les navires, faire tourner les usines, entretenir les routes et les voies ferrées situées à proximité de la zone des combats. Les Français furent les premiers à faire appel à de la main d’œuvre chinoise. Un peu plus tard, le 18 janvier 1917, les premiers coolies[2] recrutés par la Grande Bretagne quittèrent la Chine pour venir travailler sur le continent européen au sein du Chinese Corps Labour (CLC).

De fait, la participation de la Chine à la Première Guerre mondiale ne se concrétisa pas en une intervention armée, mais prit la forme d’un appui à l’effort de guerre. Entre 1916 et 1917, quelque 190.000 volontaires chinois (environ 40.000 pour la France, 50.000 pour la Russie et 100.000 pour le Royaume-Uni) furent regroupés à proximité du front pour être affectés à des tâches de manutention ou, dès la fin de la guerre, à la reconstruction de villes martyres. Malgré l’absence de chiffres précis, la majorité des sources évoquent la mort d’environ 2.000 Chinois.

Cette participation de la Chine au premier conflit mondial est assez méconnue, tant du côté des Occidentaux que du côté chinois lui-même. Embourbé dans l’atrocité des tranchées et victime d’une guerre totale sans pareille, l’Occident n’a reconnu que tardivement cet effort de guerre chinois qui fut, il est vrai, limité dans le temps et dans l’espace. De même, en Chine, le souvenir de ces ouvriers est toujours vécu comme une humiliation dans la mesure où les accords de paix ne répondirent à aucune des attentes légitimes de l’Empire du Milieu… Frustrés dans leurs prétentions à recouvrer une partie de leur territoire national alors sous domination japonaise, beaucoup de Chinois en sortirent profondément révoltés et leur gouvernement refusa de signer le traité de Versailles.

Si la paix fut instaurée à l’Ouest, l’indignation éclata en Extrême-Orient. Le 4 mai 1919, à Pékin, un mouvement étudiant de contestation engendra une puissante onde de choc dans tout le pays: une conscience politique chinoise émergea, se concrétisant par le réveil du nationalisme et l’annonce du communisme.

Les raisons qui poussèrent le gouvernement de Duan Qirui à participer au conflit mondial sous la forme limitée d’un effort de guerre sont complexes. Tout d’abord, il faut en saisir les multiples causes avant d’en décrire le déroulement dans ses traits essentiels pour, enfin, en mesurer toutes les conséquences immédiates et lointaines.

 

Un pays divisé et menacé, en quête de reconnaissance…

À partir du milieu du XIXème siècle, la Chine entama un des chapitres les plus tourmentés de son histoire. Cette période, appelée aussi «le siècle de la honte» par les Chinois, se caractérisa par une déliquescence du pouvoir impérial, un recul de la puissance chinoise en Asie ainsi que l’immixtion de nations étrangères dans la direction de ses affaires intérieures. Les deux guerres de l’opium (1839-1842 et 1856-1860), la guerre sino-japonaise de 1894-1895, le dépeçage des territoires chinois par les puissances occidentales, épisode aussi connu sous le nom de break up of China, dans les années 1897-1898, ainsi que la révolte des Boxers, en 1900, affaiblirent durablement la Chine. L’Occident et le Japon imposèrent à ce pays des échanges commerciaux en sa défaveur, le contrôle d’une part significative de son économie, l’accès libre à ses ports, le privilège d’extraterritorialité pour leurs ressortissants, l’octroi de concessions de chemins de fer et de mines… La Chine fut contrainte de ratifier ce qui fut appelé les «traités inégaux».

À l’aube du XXème siècle, l’Empire du Milieu paraissait comme «l’homme malade» de l’Asie. La dynastie mandchoue des Qing, maîtresse de la Chine depuis 1644, avait un système de gouvernement qui peinait à se réformer, et les élites chinoises étaient désireuses de moderniser le pays. En 1911, l’empereur Puyi fut renversé et la République de Chine naquit péniblement en 1912, déstabilisée par des crises politiques.

Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, la Chine, toujours en proie à l’instabilité malgré le régime autoritaire de Yuan Shikai, affirma sa neutralité. Mais le Japon se rallia immédiatement aux Alliés et déclara la guerre à l’Allemagne le 23 août 1914. Son objectif était double: récupérer les droits et intérêts de l’Allemagne sur la province chinoise du Shandong et s’opposer à l’influence de la Russie dans le nord-est de la Chine, épilogue de la guerre russo-japonaise de 1904-1905.

L’armée nippone ayant pris la ville de Qingdao aux Allemands le 7 novembre 1914, la politique de neutralité chinoise n’était plus viable et la participation de la Chine au conflit mondial resurgit dans de nombreux débats: il fallait contrer les prétentions japonaises sur les possessions allemandes situées en Chine. Pourtant, les Allemands formaient l’une des plus importantes communautés étrangères dans le pays en raison de son dynamisme et du poids de ses intérêts commerciaux. Par conséquent, ne voulant pas s’aliéner ce groupe en envoyant des soldats en Europe, la Chine opta pour un soutien non armé en faveur des Alliés. Ce n’est que le 1er août 1917 que le gouvernement chinois finit par déclarer la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie. Sur la scène internationale, la posture de la Chine soulevait de nombreuses interrogations et oppositions. En toile de fond, les États-Unis incitaient les pays du monde entier à isoler l’Allemagne en raison de la guerre sous-marine que Guillaume II livrait aux pays neutres depuis le mois de septembre 1915. Puis, d’un côté, la France était favorable à une participation de l’armée chinoise aux combats en Europe dès le mois de septembre 1917. De l’autre côté, la Grande-Bretagne était opposée à cette solution, estimant que ce serait un aveu de faiblesse du camp allié et un mauvais signal donné aux colonies. Le Japon avait aussi refusé car il souhaitait apparaître comme le seul partenaire des Occidentaux en Asie orientale. Finalement, il n’accepta qu’après avoir secrètement obtenu l’assurance que les puissances alliées appuieraient ses revendications à la fin du conflit. Par conséquent, le projet d’une intervention militaire chinoise fut définitivement écarté en avril 1918, au grand dam des Chinois qui comptaient sur cet engagement pour peser davantage dans les futures négociations de paix. Car au fond, en plus de faire face à l’impérialisme japonais, la Chine souhaitait se faire une place sur la scène internationale. Elle caressait l’espoir d’être en position de force au moment de la conférence de paix pour demander un traitement égal aux autres grandes nations et pour faire abroger les fameux «traités inégaux».

 

Sueur, sang et illusions: des travailleurs chinois sur le sol européen

Afin de répondre au manque cruel de main d’œuvre, les gouvernements alliés s’adressèrent à la Chine, officiellement neutre, dès janvier 1916. Le 14 mai 1916, la France et la Chine négocièrent un premier accord et, en octobre 1916, la Grande-Bretagne emboîta le pas en créant le CLC. Le recrutement reposait sur un contrat de travail excluant toute tâche militaire. Il était stipulé que les travailleurs chinois s’engageaient à travailler dans l'industrie et l'agriculture dix heures par jour et sept jours sur sept en échange d'un bon salaire. Le transport, la nourriture, les vêtements et le logement étaient censés être à la charge du pays hôte.

Les régimes contractuels étaient différents: les Chinois travaillant pour la France signaient un contrat de cinq ans pour un salaire variant d’un franc cinquante à six francs par jour[3] en fonction de leurs qualifications. Côté britannique, les travailleurs étaient embauchés pour trois ans avec une rémunération d’un franc par jour pour les non qualifiés et d’un franc cinquante par jour pour les qualifiés.

Avant de créer un véritable ministère, dénommé «Bureau des affaires des travailleurs émigrés», les autorités chinoises avaient chargé la société privée Huimin d’assurer le recrutement des volontaires.

L’effort portait sur des paysans originaires du nord, réputés travailleurs, jugés physiquement forts et habitués aux conditions climatiques équivalentes à celles de la France. Originaires à 85% de la province du Shandong[4], ils avaient entre 20 et 35 ans. Pour la plupart, il s’agissait de paysans sans terres et sans travail, de porteurs ou d’ouvriers; mais il y avait aussi quelques lettrés, parmi lesquels des étudiants, et certains étaient issus de la minorité catholique.

Cet appel au volontariat semblait rencontrer un écho favorable dans la population chinoise qui était séduite par la proposition d’un bon salaire et l’assurance d’en reverser une partie à la famille restée au pays. Mais la plupart des Chinois ignorait tout de la situation en Europe et de cette guerre particulièrement meurtrière.

L’acheminement des travailleurs chinois vers l’Europe se fit par voie maritime. Le trajet, qui durait en moyenne trois mois, était très risqué en raison des attaques sous-marines allemandes. Ainsi, le 17 février 1917, le torpillage du paquebot Athos entraîna la mort de 754 personnes, dont 543 Chinois. Pour ces hommes qui n'avaient jamais quitté leur village natal, le voyage était extrêmement éprouvant: à la menace permanente d’une attaque s’ajoutaient l’inconfort de la cale qu’ils ne devaient jamais quitter et le mal de mer qui provoquait parfois la folie.

Sitôt arrivés en France, les Chinois étaient mis en quarantaine avant d’être placés dans un train à destination des camps d’internement des Flandres belges, du Pas-de-Calais et de la Somme principalement, ainsi que dans des grands centres industriels comme Dunkerque, Calais, Boulogne, Noyelles et Dieppe, mais aussi les usines Renault et les mines de La Machine (Nièvre) ou encore le port de La Seyne-sur-Mer (Var). Souvent à proximité du front, les camps où logeaient les travailleurs étaient généralement constitués de tentes et entourés de fils de fer barbelés.

Leurs missions consistaient à charger et décharger les bateaux, entretenir les routes, installer et réparer les voies de chemin de fer, construire des abris et des aérodromes, faire tourner les usines, en particulier les usines d’armement, participer au terrassement de tranchées, soutenir les services de santé et ramasser les corps des soldats morts. À la fin de la guerre, ils étaient surtout employés à la reconstruction des villes détruites comme Ypres. Du côté britannique, les Chinois servaient au déminage et à la livraison d'équipements militaires; puis, à la fin du conflit, à la dépollution des champs de bataille.

Rapidement, trois types de difficultés émergèrent: le manque d’interprètes, la dureté des régimes de discipline et le danger lié à la proximité des zones de combat.

Fraîchement arrivés en France, les nombreux coolies subirent un véritable choc, tant à cette époque le fossé entre les cultures chinoises et européennes était grand. Ils ne comprenaient ni le langage ni les coutumes des habitants. La présence insuffisante de 150 interprètes engendra d'importants problèmes de communication. Les travailleurs chinois ne comprenaient pas ou mal les ordres donnés et des incompréhensions provoquèrent des tensions, voire des révoltes. Ainsi, les officiers anglais hurlaient parfois «Go! Go!» pour faire accélérer la cadence, mais en mandarin cela signifie «chien! chien!». Les Chinois en furent scandalisés et firent grève.

Par ailleurs, ils perdirent vite l’illusion de liberté que laissait présager leur contrat. Ils n'avaient pas le droit de nouer des contacts avec la population locale et leur circulation était extrêmement contrôlée. Chaque jour, seuls 10% d’entre eux étaient autorisés à sortir. Le retour au camp avant le coucher du soleil était obligatoire.

En France, les travailleurs chinois avaient un statut hybride. Ils étaient considérés comme civils mais tombaient aussi sous le coup de la loi martiale qui imposait des peines sévères allant de la simple retenue de salaire jusqu’à la peine de mort. Il semble que la condition des travailleurs chinois placés sous le commandement britannique était plus difficile. Ils subissaient une discipline militaire très stricte et pouvaient être victimes de châtiments corporels: l’humiliation par l’attachement du prévenu à un poteau, une roue ou une croix en bois indignèrent les Chinois.

En dépit des contrats qu'ils avaient signés stipulant qu'ils ne devaient pas participer aux combats ou se trouver sur la ligne de front, beaucoup furent exposés aux rigueurs des affrontements. Les travaux demandés étaient en effet très variés: ceux qui étaient affectés aux usines d’armement demeuraient à l’arrière, mais de nombreux ouvriers étaient affectés à des tâches logistiques et sanitaires à proximité du front. Outre le fait que ces travailleurs chinois, paysans pour la plupart, étaient mal préparés aux travaux d’usine – ce qui provoqua des accidents mortels –, ils furent aussi directement exposés aux bombardements allemands. Le 23 mai 1918 par exemple, à Noyelles-sur-Mer, des Chinois s'enfuirent d'un camp anglais, terrorisés par un bombardement. La plupart furent découverts plusieurs jours après, certains affamés, rendus fous ou morts d'épuisement.

Pour l’heure, aucune donnée n’indique précisément le nombre de Chinois morts pendant la guerre. Les sources franco-britanniques évoquent le chiffre de 2.000 morts et précisent parfois les circonstances des décès: torpillages, bombardements, opérations de déminage, accidents... Ils sont enterrés dans 17 localités françaises, comme  Saint‑Omer, Pont-de-Brique, Boulogne sur-mer, Saint-Étienne-au-Mont, Sains-en-Gohelle, Ruminghem et Noyelles... Mais certains spécialistes chinois contestent aujourd’hui le nombre des morts et évoquent la disparition d’environ 27.000 personnes. Ils prennent en compte les Chinois morts de maladie, notamment ceux victimes de la tristement célèbre grippe espagnole de 1918-1919 qui fit près de 30 millions de morts en Europe. Il est possible aussi que des travailleurs chinois se trouvant dans la zone des combats aient été tués, puis enterrés sur place dans des fosses communes.

 

De la frustration au réveil national: épilogue d’une histoire douloureuse

En Europe, les travailleurs chinois se réjouirent de l’armistice du 11 novembre 1918. Dès le lendemain, les survivants, y compris les malades et les invalides, furent rapatriés par les soins des Alliés. Certains allèrent jusqu’à la fin de leur contrat (1920 côté britannique, et 1922 côté français) en travaillant pour la reconstruction d’après-guerre, d’autres – entre 2.000 et 3.000 – purent rester en France et constituèrent la première communauté chinoise importante du pays[5].

En Chine, la victoire des Alliés donna également lieu à un grand élan de manifestations et de célébrations. L’ensemble de la société chinoise plaçait beaucoup d’espoirs dans la restauration, au moins partielle, de ses droits nationaux. L’objectif était double: le retour de la province du Shandong, ancienne zone d’intérêt allemande et fraîchement conquise par le Japon, ainsi que la réduction des privilèges accordés aux puissances occidentales et japonaise par les «traités inégaux». En raison de l’engagement tardif et non armé de la Chine dans la guerre, le gouvernement souhaitait présenter des revendications limitées et pragmatiques.

Les 27 et 28 janvier 1919, à la conférence de paix, les négociations se portèrent sur la question des anciennes colonies allemandes. Brusquement, la délégation japonaise réclama la cession directe des droits et intérêts allemands au Shandong, brandissant des accords secrets signés avec la «clique de l’Anhui», alors au pouvoir en Chine[6].

Prenant connaissance de ces accords, le camp chinois, qui pensait retrouver aisément la pleine souveraineté sur son territoire, plongea dans la stupeur: les Japonais n’avaient jamais officiellement réclamé des intérêts sur la province du Shandong! La Chine essaya malgré tout de défendre ses positions. En dépit du talent de certains diplomates, comme Gu Weijun (Wellington Koo) ou Lu Zhenxiang, la position chinoise demeura très faible. Sous la pression du Japon qui menaçait de quitter la Conférence, à la suite de l’Italie, les trois grands (Angleterre, France et États-Unis) s’inclinèrent et, le 30 avril, transférèrent l’intégralité des droits et des intérêts de l’Allemagne sur le Shandong au Japon. Effondré, le chef de la diplomatie chinoise transmit la nouvelle à Pékin en écrivant: «En somme, la conférence de la paix a continué à dépendre des suprématies guerrières. La justice est loin de pouvoir rivaliser avec la force».

L’indignation en Chine fut immédiate: plus de 3.000 étudiants pékinois se massèrent devant l’entrée du quartier des légations pour manifester leur colère. L’agitation, connue sous le nom de «mouvement du 4 mai», prit de l’ampleur, gagnant d’autres grandes villes: manifestations, grèves scolaires et marchandes ainsi que boycott des produits japonais se succédèrent pendant trois mois. Face à l’immense pression de l’opinion publique, Pékin refusa de signer le traité de Versailles.

 

En conclusion, la décision du gouvernement chinois d’envoyer des contingents de travailleurs aux côtés des Alliés peut sembler anecdotique au regard des évènements sanglants de la Grande Guerre. Mais il n’est pas excessif d’avancer que cette décision fut le déclencheur d’événements politiques majeurs en Chine après la paix. La Chine se trouvait dans le camp des vainqueurs de la guerre parce qu’elle avait pourvu les Alliés en main d’œuvre. En outre, elle avait placé de nombreux espoirs dans les déclarations du président américain Woodrow Wilson (les «14 points»), la confortant dans son souhait d’indépendance territoriale. Mais les traités de paix démentirent amèrement ses espérances en confirmant le transfert au Japon des droits et intérêts de l’Allemagne dans la province du Shandong.

L’indignation fut à son comble; et si le «mouvement du 4 mai» 1919 n’eut pas de conséquences immédiates sur le plan international, cette vaste mobilisation populaire marqua le réveil d'une conscience patriotique en Chine. Cette déception et cette frustration jouèrent un rôle majeur dans la formation du climat intellectuel et politique qui attisa non seulement le réveil du nationalisme, mais amena aussi la création du parti communiste chinois entre 1920 et 1921. Comme pour le reste du pays, la conscience politique des travailleurs chinois restés en France naquit au lendemain de la conférence de paix. Certains découvrirent les idées marxistes et anarchistes au contact des milliers de jeunes concitoyens venus étudier en France dans les années 1920, tels Zhou Enlai et Deng Xiaoping.

On ne peut s’empêcher de tourner cette page sans vouloir évoquer une dernière fois ces travailleurs chinois venus sur le sol français. Ils avaient laissé une famille, des amis et une culture très différente pour un avenir qu’ils espéraient meilleur. Après un voyage éprouvant et risqué, ils débarquèrent dans un pays qu’ils ne connaissaient pas, dans un contexte guerrier qu’ils n’avaient pas envisagé ou mal évalué. Des plaines cotonnières du Shandong aux usines d’armement du Creusot, l’adaptation fut difficile. Certains y laissèrent leur vie, beaucoup rentrèrent au pays et quelques-uns s’établirent en France. Mais pour tous, et plus largement pour l’ensemble du peuple chinois, cet épisode est peu évoqué. Le traité de Versailles constituant la énième humiliation pour la Chine, il n’y a donc guère de commémoration. Des représentants des autorités de Pékin participent néanmoins aux cérémonies organisées depuis les années 2000 au cimetière de Noyelles. De son côté, la France reconnut tardivement le rôle de ces travailleurs chinois et apposa en 1988 une plaque commémorative dans le XIIIème arrondissement de Paris, place Baudricourt, à la mémoire des Chinois de la Grande Guerre.

 

[1] Bénéfice au peuple.

[2] Coolie est un terme désignant au XIXème siècle les travailleurs agricoles d'origine asiatique. En chinois, il peut faire référence à une façon brutale d'utiliser de la main-d'œuvre, mais aussi à la dureté du travail: le mot 苦力 (transcription pinyin: kǔlì) est composé d'un caractère signifiant  pénible» et le second «force».

[3] En 1914, le kilo de pain coûtait 0,44 franc.

[4] Province côtière située dans le nord de la Chine.

[5] Le dernier survivant est mort en 2002 à La Rochelle, à l’âge de 105 ans.

[6] À la mort de Yuan Shikai, le 8 juin 1916, la Chine était en proie à la guerre civile avec l’existence de deux gouvernements rivaux, l’un à Pékin sous l’autorité de la faction militaire baptisée «clique de l’Anhui», l’autre à Canton sous la présidence de Sun Yatsen, avec une multitude de «seigneurs de la guerre» qui exploitaient certains territoires et provinces.

 

Saint-cyrien de la promotion «Du bicentenaire de Saint-Cyr» (1999-2002), le Chef d’escadron PIERSON a servi dans l’artillerie avant de bifurquer dans le renseignement de source humaine. Après son année d’École de guerre, il est actuellement stagiaire dans la filière «langue-relations internationales» de l’EMSST.

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Titre : Le battement d’ailes d’un papillon en France, une tornade en Chine…
Auteur(s) : le Chef d’escadron PIERSON
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