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Vladimir Poutine: héritier de la Realpolitik de Kissinger?

Cahiers de la pensée mili-Terre
Relations internationales
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Le Commandant Gilhodes considère que Vladimir Poutine mène une politique étrangère déconcertante depuis qu’il est la tête de la Russie, mais qu’il a néanmoins réussi à ramener son pays dans le jeu des puissances qui comptent sur la scène internationale. Il semble pertinent d’essayer de décrypter ses intentions au travers du prisme de la Realpolitik que prônait Kissinger pour la diplomatie américaine lors de la guerre froide.


En dehors de ses frontières ou au sein même de la population russe, le président Vladimir Poutine ne laisse personne indifférent: il fascine ou indigne. Au cours de ses mandats successifs ? de 1999 à 2008, puis de 2012 à nos jours, auxquels on peut adjoindre le mandat de Dimitri Medvedev de 2008 à 2012 ?, sa politique étrangère a été scrutée et analysée par les spécialistes du monde entier comme par les médias et le seul consensus qu’on puisse noter concerne son caractère extrêmement déroutant.

Alors que certains redoutent le retour d’une nouvelle guerre froide, on peut néanmoins envisager la vision géopolitique de Vladimir Poutine au travers du prisme d’un des plus grands penseurs de la diplomatie américaine de cette époque, Henry Kissinger. Notamment, par le concept de Realpolitik qu’il a développé et que l’on peut décrire ainsi: atteindre des objectifs concrets et réalisables qui répondent strictement à l’intérêt national, en alternant diplomatie et usage de la force et en recherchant l’équilibre des puissances. Le terme de Realpolitik a été utilisé pour la première fois au XIXème siècle par Ludwig von Rochau pour décrire la politique du chancelier Bismarck lorsqu’il bâtissait l’unité de l’Allemagne. La Realpolitik est détachée de toute idéologie et de toute valeur morale, ce qui peut lui conférer un caractère assez cynique. Le président russe et le secrétaire d’État américain se connaissent bien et se respectent mutuellement. Il ne serait guère surprenant qu’ils partagent une même conception du grand jeu diplomatique.

Lorsque Vladimir Poutine succède à la tête de l’État à Boris Eltsine, il hérite d’un pays défait économiquement, avec une population paupérisée, humiliée et déracinée. Son but principal est de toute évidence de reconstruire l’unité de la Russie, et il choisit de le faire en restaurant la fierté nationale russe pour faire oublier les difficultés économiques et démographiques de ce pays.

 

Les premiers mandats de Vladimir Poutine, une politique en demi-teinte

 

Ce n’est pas sur les deux premiers mandats (2000-2004 et 2004-2008) que l’on peut juger aisément de la politique étrangère de Vladimir Poutine. En effet, en excellent judoka et en adepte de la «voie de la souplesse», il se contente sur cette période d’observer les rapports de force sur la scène internationale.

Face aux Européens, il affirme son «européanité». Il rassure sur son absence de velléité vis-à-vis des pays de «l’Étranger proche»[1], cite Kant et sa notion de «paix perpétuelle» et déclare que l’OTAN n’est pas considérée comme un ennemi. En revanche, lorsque Poutine se rend en Asie, notamment en Chine, son propos change de ton. Il charge les Occidentaux en flattant la sensibilité asiatique. Il dénonce ainsi l’ingérence non autorisée par l’ONU que se sont permis les Occidentaux lors de la crise du Kosovo[2] au nom d’une opération humanitaire.

Le ressentiment de Poutine est nourri au fil des années par l’expansion de l’OTAN d’une part (la Hongrie, la République tchèque et surtout la Pologne en 1999, la Bulgarie, les pays baltes, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie en 2004, l’Albanie et la Croatie en 2009, l’invitation faite au Monténégro en 2016) et de l’Union européenne d’autre part (dix pays de l’ancien bloc de l’Est dont les pays baltes en 2004, la Bulgarie et la Roumanie en 2007). Ces élargissements à l’est accentuent la sensation d’encerclement que Poutine cultive auprès de sa population.

L’épreuve de force aurait pu commencer dès les révolutions de couleurs[3], mouvements pro-européens qui ont secoué certains pays ex-soviétiques, mais Moscou avait privilégié la diplomatie et les pressions économiques pour soutenir les dirigeants pro-russes. On connaît notamment les menaces de coupure de fourniture de gaz aux pays dépendant des livraisons russes. Conscient de sa faiblesse sur la scène internationale, Vladimir Poutine s’est contenté de jouer le jeu diplomatique dans les premières années. Cela lui a également laissé l’opportunité d’inscrire dans la lutte anti-terroriste mondiale sa gestion du conflit tchétchène en 2000.

 

Contrer les influences étrangères dans les sphères d’influence et au-delà

 

À partir de 2008, le jeu politique de Vladimir Poutine (sous la présidence de Medvedev, puis sous la sienne propre) consiste alors à jouer sur deux plans qui se recoupent. Le premier est de promouvoir un monde multipolaire, au sein duquel la Russie jouerait un rôle prépondérant. Il s’agit donc de limiter l’influence des États-Unis et/ou de «l’Occident» sur la scène internationale. Le second est de défendre, par des moyens plus ou moins coercitifs, les intérêts russes. En 2008, Vladimir Poutine définit les intérêts vitaux de la Russie comme s’étendant à la Biélorussie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’arctique et sa côte pacifique. Il veut ainsi protéger ses «marches», notamment occidentales.

La première réponse musclée de la Russie a lieu en Géorgie en 2008. Les troupes russes sont déployées en Ossétie du Sud pour soutenir les séparatistes, comme elles avaient déjà soutenu ceux de l’autre région séparatiste géorgienne, l’Abkhazie en 1992-1993. Ce premier pas est suivi d’un second en 2014 en Ukraine, conflit bien plus médiatisé en Occident. La crise de l’Euromaidan, mouvement pro-européen ici encore, donne l’opportunité à Moscou de s’emparer de la Crimée en y déployant ses «petits hommes verts»[4] et de déstabiliser le Donbass[5] à l’est.

Ces deux interventions ont été très largement soutenues par la population russe. Elles ont permis d’isoler la Géorgie et l’Ukraine de l’Occident, tout en envoyant un message très clair aux autres pays de la sphère d’influence qui pourraient être tentés de suivre la même voie. Mais la crise ukrainienne a également joué un rôle majeur dans le rééquilibrage des puissances diplomatiques: Moscou devient un acteur incontournable des négociations, en particulier pour les accords de Minsk 2 en février 2015.

Il est à noter que Poutine n’agit militairement qu’avec précaution, lorsque le rapport de force est favorable, là encore selon la «Realpolitik». L’Occident a condamné ces actions, a pris des mesures de rétorsion économique, mais n’a pas pris les armes. L’essai doit être transformé et, pour la première fois depuis la chute de l’URSS, la Russie intervient au-delà de sa sphère d’influence. C’est la Syrie qui lui offre l’occasion de prendre pied dans le grand jeu international[6]. Moscou met en œuvre sa propre coalition afin de soutenir le pouvoir alaouite et contrecarre ainsi les projets des Occidentaux. Poutine devient alors un acteur incontournable de la résolution du conflit, tout en se rapprochant de l’Iran. Il réalise par ailleurs le rêve multi-centenaire de la Russie d’avoir un accès aux mers chaudes. C’est chose faite avec le port de Tartous. Puis, suite aux tensions avec la Turquie qui a abattu un Su-24 russe à la frontière syrienne, Poutine choisit de se réconcilier avec le président turc Erdogan. Cela lui permet d’avoir un allié au sein même de l’OTAN.

Vladimir Poutine a réalisé par de petites actions ciblées ce qu’il avait proclamé en 2013, c’est-à-dire ne pas «être vassal dans ce monde unipolaire»[7]. Depuis, il multiplie les démonstrations de force (incursions de sous-marins ou d’avions au large des côtes européennes) pour maintenir cette place qu’il a acquise.

 

Vers un nouvel empire?

Certains voudraient voir dans les récentes interventions armées de la Russie poutinienne la volonté de retrouver les frontières de l’URSS. Il est peu probable que Poutine ait l’ambition de recréer un empire, car cela ne concorde pas avec sa politique réaliste. Néanmoins, il est intéressant de voir ce que chacune des visions «impériales» apportent à sa propre pensée.

 

  • Un empire dans les frontières historiques

L’héritage de la Russe tsariste se retrouve dans une notion prônée aujourd’hui encore dans les milieux intellectuels slavophiles russes, celle de la voie propre de la Russie, de son destin messianique[8] face à la décadence grandissante de l’Occident. Poutine partage très certainement cette vision, lorsqu’il critique la démocratie affaiblie et la décadence des mœurs en Europe. On peut également noter dans cet héritage historique l’attachement viscéral de Moscou pour l’Ukraine, qui était le cœur de la Rus’, le premier État russe. C’est à Kiev également que la Russie a été baptisée. Poutine, comme la plupart des Russes, soutient ce lien indéfectible qui devrait exister entre les deux pays, ce qui explique en partie la dureté de la crise actuelle.

 

  • Un empire soviétique

Poutine n'est pas nostalgique de l’URSS, ni du communisme en tant que tel, mais il a exploité les valeurs de cette époque que sont le patriotisme et la glorification de l’armée. Il est opposé à la restauration de toute idéologie d’État. On lui a reproché sa déclaration selon laquelle «avant toute chose, il faut reconnaître que la chute de l’URSS a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle»[9], mais il s’en est justifié par la suite en expliquant qu’il parlait de la catastrophe humanitaire pour les 25 millions de Russes qui se sont retrouvés hors des frontières de la Russie. Le rappel de l’histoire soviétique lui permet également d’affirmer que c’est l’URSS qui a sauvé l’Europe du fascisme, et le même discours a été employé en Ukraine pour justifier la lutte des pro-Russes contre les partis «fascistes». Une phrase résume bien la pensée de Poutine sur l’URSS: «Celui qui ne regrette pas la destruction de l’Union soviétique n’a pas de cœur. Et celui qui veut sa reconstruction à l’identique n’a pas de tête»[10].

 

  • Un empire panslaviste

La notion panslave a toujours une valeur certaine en Russie, ce qui est prouvé par le sentiment russe de trahison sur la question du Kosovo. Elle est cependant trop large pour recouper une quelconque réalité et ne se traduit guère plus concrètement aujourd’hui pour des pays comme la Pologne ou la République tchèque.

 

 

  • Un empire eurasiatique

Le concept ad hoc de l’Eurasieest confortable, car à géométrie variable, permet de s’adapter en toutes circonstances. Comme le rappelle souvent Poutine, la Russie a des racines chrétiennes européennes, mais 15 millions de Russes sont musulmans et la majorité de son territoire est en Asie. Il œuvre à une union eurasiatique et l’utilisation du rouble pour tous les pays. Cette union concerne en 2014 la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie, que rejoignent en 2015 l’Arménie et le Kirghizstan. Lorsqu’il est élu pour la troisième fois en mai 2012, il déclare «devenir le leader et le centre de gravité de toute l’Eurasie». Pourtant, il est illusoire de croire que les pays baltes, l’Ukraine, la Géorgie et certains pays d’Asie centrale la rejoindront. Le succès n’est que partiel.

Mais c’est également son rapprochement avec la Chine qui est à noter ici. Poutine la courtise dès son arrivée au pouvoir. «La Russie prendra toujours appui sur ses deux piliers, l’européen et l’asiatique»[11]. Bien que les deux pays se rejoignent sur certaines valeurs (méfiance vis-à-vis de l’Europe, volonté de contrer les États-Unis, affirmation de la souveraineté nationale) et qu’ils soient membres de l’OCS[12] et des partenaires économiques de premier ordre, il est peu crédible que les relations aillent au-delà de la normalisation des rapports. La Chine tient à suivre sa voie propre en matière de relations internationales et la Russie prendrait le risque de jouer le «junior partner» dans une alliance très déséquilibrée en faveur des Chinois.

 

Une politique réaliste d’influence

 

Malgré les avancées notables sur la scène internationale qu’a conférées à la Russie la stratégie réaliste de son président, celui-ci reste conscient des faiblesses structurelles du pays, économiques et démographiques. Vladimir Poutine est soucieux de développer une réelle stratégie d’influence pour appuyer sa politique étrangère. D’une part, cela lui permet d’exalter cette voie propre à la Russie, et d’autre part, de contrer l’exportation des valeurs européennes et américaines dans le monde, valeurs que les Russes ne considèrent pas comme universelles. Vladimir Poutine veut mettre à profit l’importante diaspora russe dans le monde pour développer sa stratégie d’influence. Il va jusqu’à distribuer des passeports russes à ceux qui en font la demande en Géorgie, en Arménie et en Ukraine, pour augmenter le poids des minorités russes dans les pays voisins. Il souhaite rallier à la cause de la patrie les Russes expatriés pour qu’ils appuient l’action de rayonnement russe.

Ailleurs dans le monde, c’est par le développement de centres culturels russes que la langue et la culture russes sont mises en valeur. Mais en 2007, il crée également des instituts de la démocratie et de la coopération à Paris et New-York pour répondre aux critiques des Occidentaux sur les droits de l’homme en Russie et surveiller et rapporter en retour les manquements dans ces pays d’accueil. Les médias ne sont pas en reste avec le développement de Sputnik et Russia Today qui commentent l’actualité du point de vue russe. Le premier diffuse l’information sur son site web dans plus de 30 langues; le second possède une chaîne de télévision qui diffuse en russe, en anglais, en arabe et en espagnol, en plus de plates-formes internet en allemand et en français. On peut enfin citer le cas de l’Église orthodoxe comme vecteur d’influence. Le patriarcat de Moscou tente de se rapprocher des autres orthodoxes, voire de récupérer certaines églises construites dans le monde avant la révolution. Ainsi en France, n’ayant pu récupérer la cathédrale Alexandre Nevsky, Moscou a fait construire celle de la Trinité, quai Branly, qui abrite un nouveau centre spirituel et culturel russe.

On pourrait enfin élargir les politiques d’influence aux ingérences supposées dans les élections aux États-Unis, comme au soutien que Vladimir Poutine apporte à certains candidats pro-Russes en Europe. Des partisans de la Russie pourraient ainsi faire lever les sanctions économiques contre la Russie. L’ensemble de ces actions d’influence sont autant d’objectifs mineurs qui viennent soutenir la vision réaliste de l’ancien agent secret.

 

La Realpolitik est une vision cynique où seuls les intérêts du pays sont pris en compte. Elle nécessite de s’appuyer sur un pays «sain» et peut-être jugée ainsi que périlleuse dans la situation actuelle de la Russie ? la faiblesse de son PIB, la quasi monoculture industrielle pétrolière et gazière, l’absence de réformes économiques réelles, le poids des sanctions internationales, les problèmes démographiques. Mais les succès de chaque coup porté par Poutine permettent d’un autre côté de compenser cette situation économique auprès de la population russe, qui redécouvre la fierté patriotique. Pour elle, la Russie porte les germes du renouveau mondial après des années d’humiliation. C’est le jugement que porte Kissinger sur son héritier, Vladimir Poutine: «Il calcule froidement les intérêts nationaux russes tels qu’il les conçoit, ceux dont il pense, certainement à raison, qu’ils possèdent des caractéristiques uniques. Pour lui, la question de l’identité russe est particulièrement cruciale. Car, avec l’effondrement du communisme, la Russie a perdu près de 300 ans de son histoire. Et, ainsi, la question de savoir «Qu’est-ce que la Russie?» est très présente dans leur esprit. Et c’est un problème que nous n’avons jamais eu».

 

 

À l’issue de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, promotion «Général de Galbert», le Commandant GILHODES choisit l’arme du matériel. Après avoir servi au 1er régiment d’hélicoptères de combat, en escadrille de maintenance, comme commandant d’unité au centre de formation interarmées NH90 et comme officier adjoint à la division de formation des techniciens NH90, elle est actuellement en scolarité de russe à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) après son année d’École de guerre.

 

 

[1] La définition la plus généralement admise de «l’Étranger proche» regroupe les anciennes républiques de l’URSS excepté les pays baltes.

[2] L’OTAN intervient entre mars et juin 1999 dans le conflit kosovar en bombardant la Serbie. En vertu de la résolution 1244 du 10 juin, l’ONU prend en charge l’administration du Kosovo. Le statut de cette province reste indéterminé jusqu’en 2008, date à laquelle le Kosovo proclame son indépendance.

[3] Révolution des roses en Géorgie en 2003, révolution orange en Ukraine en 2004, révolution des tulipes au Kirghizistan et révolution en jean en Biélorussie en 2005. Moscou accusait régulièrement la CIA et les ONG occidentales d’être derrière ces révolutions.

[4] Les soldats russes déployés sur place ne portent aucun signe distinctif sur leurs uniformes.

[5] Républiques populaires auto-proclamées de Lougansk et de Donetsk.

[6] À l’appel de Bachar el-Assad, Poutine propose le plan d’une nouvelle coalition antiterroriste devant l’Organisation des Nations unies (ONU) le 28 septembre 2015, puis intervient contre l’EI et les rebelles à partir du 30 septembre 2015.

[7] Discours au club Valdaï, le 19 septembre 2013, région de Novgorod.

[8] Héritage de la notion de Moscou, 3ème Rome de Philotée de Pskov, 1510.

[9] Adresse à l’assemblée fédérale, 25 avril 2005, Moscou.

[10] Ligne directe avec les lecteurs du quotidien Komsomolskaïa Pravda, le 9 février 2000.

[11] Entretien au quotidien chinois Renmin Ribao, à l’agence d’information Chine nouvelle et à la chaîne de télévision RTR, 16 juin 2000.

[12] L’Organisation de coopération de Shangaï est une organisation intergouvernementale régionale asiatique créée en 2001 qui regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan, l’Inde et le Pakistan.

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Titre : Vladimir Poutine: héritier de la Realpolitik de Kissinger?
Auteur(s) : le Commandant Alexandra GILHODES
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