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Winston et Clémentine CHURCHILL «Conversations intimes (1908 – 1964)»

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Alors que le 70ème anniversaire du débarquement vient d’être célébré, ces «conversations intimes» entre Winston Churchill et son épouse revêtent une acuité particulière. Madame Françoise Thibaut, bien connue de nos lecteurs, nous en fait une analyse qui aurait dû, selon les standards des Cahiers, figurer dans la rubrique «On a aimé…». La finesse, la richesse, les détails de cette analyse et son actualité sont tels qu’elle a finalement toute sa place dans la rubrique «Articles d’intérêt général». D’autres la suivront dans de prochains numéros.


Enfin traduits en français, les courriers que Winston et Clémentine Churchill se sont échangés de 1908 à 1964, sont publiés par les Éditions Taillandier sous le titre «Conversations intimes».

Préfacé par François Kersaudy et admirablement commenté par Lady Mary Soames-Churchill (leur plus jeune fille), laquelle situe en continu ces textes souvent très beaux, témoins d’une grande complicité, de tendresse partagée, vifs et parfois très drôles, l’ensemble bénéficie d’une traduction impeccable.

Ce n’est pas la totalité (environ 2.000 courriers), mais seulement ceux (environ 700) qui présentent un intérêt historique ou permettent de mieux cerner les personnalités. On peut d’ailleurs les recouper avec les «mémoires officielles» de Winston. Ils révèlent les joies et les peines de deux solides caractères, leurs soucis privés et publics. Ils permettent surtout un voyage dans le temps d’une époque disparue à jamais.

 

Les personnalités

 

Winston Churchill est qualifié de «civil qui aimait la guerre» en raison de ses rôles dans les deux Guerres mondiales (surtout la WW2). La jeunesse actuelle n’a souvent que l’image d’un vieux monsieur à cigare, engoncé dans une capote de la Royal Navy. C’est un peu court. C’est oublier que Winston Spencer-Churchill fut officier de cavalerie au 4th Queen's Own Hussars, (après s’y être repris à deux fois pour être admis à Sandhurst): il participa très activement aux opérations impériales en Inde, en Égypte et surtout en Afrique du Sud où ses exploits (fait prisonnier par les Boers, il s’évada et parcourut seul, à pied, plus de 400 kilomètres pour rejoindre Durban) défrayèrent la chronique, puisqu’il les publia dès cette époque – écrivain déjà prolixe ‒ pour gagner sa vie, autorisé par Chamberlain au War Office à être correspondant de guerre pour le Morning Post, sous condition de ne révéler aucun renseignement stratégique[1].

Le célèbre «No sports» qu’on lui attribue est lui aussi quelque peu mensonger: excellent cavalier, intrépide joueur de polo, golfeur honorable, infatigable chasseur, pilote d’avion dans les années 1910, adepte de la vie en plein air, écolo avant l’heure, il s’adonnait avec enthousiasme au jardinage, à l’élevage, se faisant même maçon ou égoutier pour mieux équiper sa propriété de Chartwell.

Où qu’il soit dans le monde, ses lettres commencent le plus souvent par l’évocation du climat, du temps qu’il fait, des pluies ou des nuages; il décrit la nature, les arbres, s’extasie sur la moindre fleur, les carrés de légumes, les champs de maïs ou les prairies. Certainement, cet appui mental sur la nature – qu’il se met à peindre à partir de 1917 – lui permet de s’évader des problèmes qu’il a à gérer, une distanciation vis à vis de l’immédiat, ce qui protège son lucide équilibre là où d’autres perdraient pied.

À 30 ans (en 1904) il quitte l’armée pour entrer en politique: élu aux Communes avec l’appui de Douglas Haig et Balfour dans la modeste circonscription d’Oldham, il entame ainsi 50 années parlementaires mouvementées, émaillées de 15 campagnes électorales et huit postes ministériels différents. Winston rencontre Clémentine Hozier au printemps 1908; le coup de foudre est immédiat, partagé; elle est jolie, courtisée, élégante sans être futile, grande pour son époque, d’une famille fort honorable mais fauchée. Peu importe (Winston portant un grand nom est lui même plutôt «serré» côté finances). Après de brèves fiançailles, ils se marient le 12 septembre 1908 à St Margaret de Westminster pour être presque aussitôt séparés, car Winston est de nouveau en campagne électorale.

Repères privés et publics

 

Les 56 années de correspondance révèlent avant tout une fabuleuse histoire d’amour. Clem adore son Pug, s’extasie volontiers devant ses talents; mais elle est aussi fine mouche: pour se protéger du tourbillon churchillien, assez vite, elle prend l’habitude de s’échapper au prétexte de cures, de tournois de tennis, de ski, de vacances enfantines…La Kat est alors inondée de missives enflammées, où alternent propos politiques, visions internationales, travaux dans la maison, grippes des enfants, exploits parlementaires ou littéraires. Elle répond avec esprit, donne des conseils, freine l’enthousiasme ou les colères, commente les discours, papote, s’inquiète de leurs familles, des amis, de l’état des finances…Car l’aisance ne viendra que fort tard, non grâce à la politique, mais grâce aux talents littéraires du divin époux.

En mai 1909, Winston (jeune marié, Clem attend son premier enfant), qui est en Prusse, invité avec le Premier ministre par le Kaiser Guillaume à contempler des manœuvres militaires, écrit: «J’aimerais vivement avoir une certaine pratique du maniement de grandes forces. J’ai une grande confiance en moi… sur les combinaisons tactiques» (lettre du 30 mai). Étonnante anticipation !

En février 1916, alors qu’il est dans les tranchées avec le 6ème bataillon du Royal Scots Fusiliers, ayant choisi de réintégrer l’armée (suite à sa démission après les désastres des Dardanelles et de Galipoli), Winston commence ses courriers par «Ma chérie à moi», en-tête qu’il n’abandonnera plus jamais, terminant presque toujours par «Votre mari dévoué qui vous aime à jamais». Clémentine est plus réservée, mais enjouée, taquine, souvent inquiète, mais elle le couvre de baisers jusqu’en 1964, l’accable de surnoms et de «Mon tendre amour». Pendant ses mois de tranchées, elle lui fait ponctuellement parvenir cigares, cognac, champagne, rôtis, fromages, sac de couchage, maillots de laine, bottines étanches, une machine à écrire, un périscope qu’il utilise encore au moment de la WW2. Ils discutent longuement de l’éventuel retour à la politique à partir de septembre 1916. Plus tard, elle se plaint de ses longues absences et de ses «vagabondages». Il décrit Ypres massacrée, les «inutiles tueries», s’en indigne; Clémentine écrit (24 mars 1916): «La guerre est un terrible révélateur de force morale».

Dès 1936, Winston, depuis Chartwell, écrit à Clem (en croisière): «Aucun doute que les Allemands sont déjà substantiellement très supérieurs en armement et en aviation… Nous glissons irrémédiablement vers l’affrontement». La Kat répond: «L’Allemagne est désormais la plus grande puissance armée d’Europe… la vie politique anglaise est déprimante». Suivent de nombreux échanges politiques, mélangés au nombre des œufs pondus par les cygnes, aux succès scolaires des enfants, aux projets de peinture, au nettoyage de la piscine. On est aussi plongé dans la pénible affaire de l’abdication d’Édouard VIII - qui affecte beaucoup Winston – mais bien qu’annuellement invité à Balmoral, rois et reines restent assez éloignés des affaires courantes. Prime Minister, il se déplace en personne pour accueillir Élisabeth, reine toute neuve, à l’aéroport; son couronnement en mars 1953 dérange leurs projets personnels.

Clémentine est sa principale conseillère, sa première lectrice; elle l’assiste lors des harassantes campagnes électorales, le remplace parfois. Épouse de ministre ou du P.M., très sollicitée, elle fait face, même épuisée ou enceinte: au début de la WW2, elle crée les cantines des ouvriers de l’armement ; lorsque Winston endosse la lourde responsabilité de la guerre de résistance en 1940, elle lui adresse une lettre admirable mais mesurée (27 juin 1940), dans laquelle elle lui enjoint d’être moins désagréable et abrupt avec son personnel; elle reconnaît son angoisse et la lourdeur de sa tâche, mais «vous n’êtes plus aussi gentil qu’autrefois», et lui rappelle son principe préféré: «On ne règne sur les âmes que dans le calme» ; elle conclue «Je vous aime énormément».

Pendant la WW2, Winston voyage énormément, le plus souvent en avion militaire, non pressurisé, très inconfortable. Ils communiquent par messages codés, souvent assez comiques. Elle s’inquiète de sa santé car il a plus de 65 ans. Après la grave pneumonie qui le cloue au Maroc, elle exige qu’un médecin l’accompagne en permanence: ce sera Lord Moran, intrépide ami fidèle, qui lui administre quotidiennement un «Moran», ce qui permet à Winston de tenir le coup.

Présidente de la Croix-Rouge britannique, dès la fin du conflit elle file à Moscou, rencontre Staline (qui la reçoit fort bien) afin de secourir les orphelins russes. C’est elle qui, en 1953, va recueillir son prix Nobel de littérature des mains du roi de Suède et prononce l’allocution de remerciements, car Winston est retenu par la conférence des Bermudes, urgente et prévue de longue date avec les Américains.

 

Tous ces courriers traduisent une complicité, une réflexion commune sur d’innombrables préoccupations privées et publiques, et cela durera jusqu’à l’ultime campagne électorale (qu’elle désapprouve): ils ont respectivement 84 et 74 ans. En fait, la démarche mentale de Winston est assez simple: il veut «servir», être utile à son pays qu‘il adore et, assez tôt, dès son entrée en politique, il pense avec sincérité que sans lui la Grande Bretagne ne s’en sortira pas. Dans tous les postes ministériels qu’il occupa, il fut un réformateur acharné souvent contre l’avis et la réprobation de ses collègues: ces courriers privés font voir «l’envers du décor», la pensée profonde, les hésitations, les crises morales… car Winston est un «dépressif positif» qui se soigne en partant à la campagne et en faisant de la peinture. Il s’isole souvent, reste au fond de son lit, se replie dans l’écriture historique au rythme de 15.000 mots quotidiens, dicte, écrit, compte les œufs des poules, taille ses haies, chasse le sanglier… En 1926, chancelier de l’Échiquier, débordé par la préparation du budget, la crise irlandaise, le chômage, il prend une journée entière pour emmener ses enfants au zoo de Londres, et écrit à Clem (en voyage): «Je crois que je suis celui qui s’est le plus amusé».

 

Pratique politique

 

Courtois, affables, joyeux vivants, les Churchill sont reçus partout, voyagent énormément pour le bien de la Couronne ou de la paix dans le monde. Ils mêlent souvent voyages privés et publics; Les courriers montrent toutes les ramifications relationnelles, les parentés; en fait, tout un monde et un mode de vie disparus à jamais et qui n’existeront plus.

Dès l’âge de 15 ans et jusqu’à sa disparition en 1965, Winston Churchill a rencontré Tout le Monde[2]. Par ses parentés et alliances familiales, il est proche de toutes les familles «de pouvoir» européennes. Personne ne l’impressionne, mais il sait se faire humble et discret lorsque c’est opportun. S’il «tonne» souvent (comme le lui reprochent parfois Clem ou ses collaborateurs), il sait aussi se taire, mijoter dans son coin et «être gentil», comme dit son épouse.

Jusque dans les années 20, on rencontre surtout le vieux personnel de l’Empire britannique : Balfour, que la Kat qualifie (lettre de février. 1916) de «vieux matou grisonnant», Curzon, Asquith, Peel: la Grande-Bretagne est empêtrée dans la question irlandaise, celle des houillères (Winston invente leur premier système de protection sociale en 1911 et raconte son vote homérique), les suffragettes (la Kat, beaucoup plus libérale que le Pug, est pour: ils se chamaillent un peu là-dessus), un lourd déficit budgétaire. Ensuite apparaissent Lloyd George que Clem qualifie de «minable petit rustre» (elle ne l’appréciera jamais), qui deviendra un ami et un solide appui, le personnel nord-américain, Botha, premier gouverneur de l’Afrique du Sud, Hailé Sélassié, Antony Eden qui est un parent puisqu’il a épousé une nièce, et dont la santé fragile sera une source d’inquiétude permanente. Et tant d’autres…

Puis s’étalent la grande confiance et l’admiration de Churchill pour Roosevelt[3]: ils rédigent tous les deux, du fond de leurs lits de vieux hommes malades ce qui va devenir le pacte de l’Atlantique (sur lequel nous sommes toujours assis).

Clémentine et Winston ont tous deux la naïveté des gens honnêtes et bien éduqués dans un milieu qui leur fut toujours favorable: dans un premier temps, Clem se laisse éblouir par Benito Mussolini (elle modifiera ensuite son opinion); Winston est fasciné par Staline qu’il croit sincère; même innocence première vis à vis de Broz-Tito et de Makarios. En 1943 au Caire, la rencontre avec la très souriante Madame Tchang Kaï Chek mérite un détour (lettre du 26 novembre 1943). En 1944, Winston est très affecté par le massacre délibéré des résistants de Varsovie; Staline, dans les lettres de Clem, devient «l’ogre». Dans une très longue missive écrite à Malte sur le H.M.S. Orion le 1er février 1945 (la guerre n’est pas terminée), le Pug dessine la totalité du devenir de l’Inde future, de la catastrophique mais inévitable partition, des désastres causés par Gandhi, Nehru (et leurs cliques).

D’une manière générale, la WW2 vue de l’intérieur sous la plume de Churchill est passionnante.

 

La France et les Français

 

La France est constamment présente dans la vie des Churchill: par vacances, cures, emplettes… (la mère de Clémentine termina sa vie à Dieppe (rue des Fontaines). Ensuite, ils raffolent du Midi: Cannes, Agay, Golfe Juan, Monaco (dont le casino est un aimant), le plus souvent dans des propriétés amies qu’ils occupent parfois pour de longues semaines. Il y a aussi la Côte basque, les cures de la Kat dans les villes d’eau, Paris où la très confortable ambassade de Grande Bretagne est toujours accueillante.

Mais il existe un très curieux paradoxe: si la France, son ciel, son climat, sa campagne, ses produits de luxe et ses gouvernantes sont très appréciés, les Churchill n’ont pratiquement pas de contact avec les Français. Ils restent «entre Anglo-Saxons» chics, quelques nord-Américains ou, au mieux, avec une élite cosmopolite. La Côte d’Azur a pour Winston toutes les qualités de l’enchantement, notamment en janvier-février, où il reste souvent trois semaines. Jusqu’à ce qu’il découvre le Maroc, Marrakech et la Mammounia, qui dépasse en confort tous les hôtels français (lettre du 8 janvier 1936).

Quant au personnel politique français, il est régulièrement passé à la moulinette: les propos du couple Churchill ne sont guère amènes, quelle que soit l’époque.

Dès mars 1918, Winston, à peine démobilisé, est à Paris avec une délégation britannique (lettre du 31 mars): il rencontre Clemenceau, Pétain, Foch, Weygand: «…Nous avons dîné avec Pétain dans son somptueux train… Clemenceau m’a parlé en toute confiance… Il m’a bien amusé, c’est un personnage extraordinaire…». Plus tard, il visite le champ de bataille près d’Amiens, se félicite de l’efficacité des troupes anglo-américaines, collabore avec Louis Loucheur, ministre français de l’Armement jusqu’en 1930. En 1924, il rencontre Herriot malade, Gaston Doumergue. Seul Poincaré résiste à la critique. En 1927, toujours avec Loucheur, il déjeune avec Aristide Briand, Vincent Auriol et 15 députés des différents partis: le Pug trouve tout cela assez stérile, et remarque que «les Français adorent s’enfoncer dans leur crise». Ensuite, Chautemps, Daladier, Reynaud («qui se remet de ses triomphes en matière de finances»; on est en janvier 1939) sont plutôt brocardés. Léon Blum et Paul Reynaud «sont très inquiets, mais sans aucune efficacité; les Français sont mous». Il ne sort que peu de choses de toutes ces longues rencontres de 1938-1939. Plus tard, au début de la WW2, Churchill fait remarquer à plusieurs reprises la «nonchalance française» vis à vis des forces de l’Axe.

 

Churchill-de Gaulle

 

La relation entre Winston Churchill et Charles de Gaulle fut marquée par l’ambiguïté et une certaine défiance. Certes, même si Winston aida beaucoup le Général de Gaulle à Londres en lui procurant en sous main, discrètement – pour ne pas contrarier Roosevelt, qui ne voulait pas entendre parler du Général qu’il considérait comme un dangereux franc tireur – des locaux, un peu d’argent et de matériel, leurs relations «humaines» furent toujours assez exécrables, empreintes de part et d’autre d’un certain mépris.

Jusqu’à son coup d’éclat de juin 1940, Charles de Gaulle fait partie de la cohorte des officiers anonymes qui ne font qu’accompagner les stars. La première «vraie» rencontre a lieu au Caire en août 1942, où Winston reçoit aussi les Russes. De Gaulle n’est que «cité», sans aucun commentaire (longue lettre du 9 août 1942). Ensuite on est dans Tobrouk, Stalingrad, El Alamein (en novembre): la victoire se profile au loin, il faut s’organiser. Les Américains sont en Afrique du nord. Se situe alors ce que Winston qualifie «d’interlude comique»: la rencontre Giraud-de Gaulle. Le Pug commente: «Il se prend pour Clemenceau» (Casablanca, mai 1943). Peu après, Churchill attend de Gaulle à Alger, accompagné du Général Georges; le commentaire est sans appel: «Tout le monde ici s’attend à ce qu’il fasse tout son possible pour créer la zizanie et mettre en avant ses ambitions personnelles» (lettre du 29 mai 1943). La France ne sera ni à la réunion «Quadrant» de Québec, ni à Téhéran, encore moins à Yalta, totalement absente des décisions concernant la Grèce, la Yougoslavie, l’Iran. Les trois Grands se partagent le monde sans même son avis. En août 1944, Winston, finalement plutôt rassuré sur la fameuse «France Libre», invite de Gaulle à déjeuner; ce dernier refuse. Winston est furieux: on ne refuse pas une invitation de Churchill! Clémentine commente: «Le Général de Gaulle a abusé de votre courtoisie… et s’est comporté avec l’impolitesse calculée dont il est coutumier» (lettre du 16 août 1944). Quelques jours après, Winston est à Naples (libérée) et parle encore de «l’insolence» gaullienne: «Nul doute que la France des gaullistes sera une France plus hostile que jamais à l’Angleterre depuis Fachoda» (17 août 1944). Pourtant, en janvier-février 1945, alors que la victoire est proche, Winston et Clémentine s’alarment des effroyables conditions de vie des Français: Churchill fait «plier» le président US et surtout le Général Marshall, qui débloque des trains de charbon et de nourriture. On connaît les besogneuses négociations pour la libération de Paris par la 2ème DB. Churchill ne lèvera pas un cil. Et l’État français ne reparaît sur le plan international qu’à Postdam.

L’après-guerre est dure pour tout le monde, tant à titre privé que public: les enfants Churchill divorcent à tour de bras, le fils unique Randolph[4] a des emportements politiques et sentimentaux qui mettent Winston dans l’embarras. Il est vrai qu’il n’est vraiment pas facile de trouver sa place avec un père aussi monumental et un nom si difficile à porter. Aussitôt la paix conclue, Winston est évincé du pouvoir; il ne s’en remettra jamais. Sa santé décline, de même que celle de Clémentine, épuisée par toutes ces années d’inquiétude et de tension.

Une sorte de «revanche-hommage» très gaullienne a lieu le 6 novembre 1958. Ce sera d’ailleurs une des dernières sorties officielles de Winston. À Paris, Charles de Gaulle est au pouvoir. Il remet solennellement à Winston Churchill la croix de la Libération, la plus haute distinction décernée à ceux qui ont servi les Forces françaises libres et la résistance. Seuls deux Britanniques ont reçu cette distinction: le roi George VI et Churchill. Clémentine est présente. Ensuite, ils s’envolent tous deux pour le Midi.

 

On peut ne pas apprécier ce pavé (830 pages), ce déballage sentimentalo-élitiste que constituent ces «Conversations intimes» du couple Clémentine et Winston Churchill. Toutefois, il éclaire de manière intense et subtile, souvent inattendue, des aspects importants de notre histoire récente. Churchill, au cours de sa longue vie, tellement remplie, a tout vécu: le bon et le mauvais, le glorieux et le pitoyable, l’infâme et le plaisant, le populaire et l’élitiste, le calme et le danger… et surtout l’amour inébranlable de Clémentine «sans laquelle», écrit-il encore en 1963, «il ne serait rien».

 

 

 

[1] «Mes jeunes années» publiées seulement en 1930, largement tirées des chroniques d’époque, témoignent de ces péripéties. Il existe deux fonds principaux d’archives Churchill: celui de la Fondation Chartwell et celui de l’Université de Cambridge, (principales références du livre) ainsi que le fonds diplomatique du Foreing Office.

[2] À l’exception d’Adolf Hitler. Et même la fameuse Coco Chanel (lettre du 28 janvier 1927) chez son ami le duc de Westminster. Il la trouve fascinante, «extrêmement capable et agréable» ; Clem est plus réservée. Et aussi les Onassis, au printemps 1956 et dont il squatta régulièrement le luxueux yacht à partir de cette date.

[3] Nombreuses lettres à partir  de juillet 1938 : le 8 juillet, Winston écrit « le Président est à fond derrière nous », cela mélangé aux facéties d’un chat qui effraie les colombes de Chartwell ; en décembre 1941, depuis la Maison Blanche, il réitère sa confiance et son admiration : il se félicite que « les Américains soient enfin entrés complètement dans la guerre ».

[4] Le fils unique de Winston et Clémentine, Randolph (ils ont eu quatre filles dont une morte en bas âge) épousa en première noces en octobre 1939 une femme magnifique, Pamela, fille de Lord Digby. Winston l’appréciait beaucoup, la trouvait très intelligente. Elle lui donna un petit-fils prénommé Winston, né en 1940. Le mariage fut dissout en 1945. Ensuite, Pamela épousa en troisièmes noces Averell Harriman, milliardaire, diplomate, ambassadeur des USA à Moscou de 1943 à 1946, un des constructeurs de la libération de l’Europe, puis gouverneur de New York, décédé en 1986. Sa veuve, Pamela Harriman, soutint la candidature à la présidence de Bill Clinton, et ce dernier en fit son ambassadeur à Paris, où elle décéda brutalement en 1996.

 

Docteur en droit et en sciences politiques, Madame Françoise Thibaut est professeur émérite des universités, membre correspondant de l'Académie des sciences morales et politiques. Elle a enseigné aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan le droit et la procédure internationale ainsi qu'à l'École supérieure de la gendarmerie de Melun. Elle écrit aussi des thrillers pour se distraire, tout en continuant de collaborer à plusieurs revues et universités étrangères. Elle est notamment l'auteur de «Métier militaire et enrôlement du citoyen», une analyse du passage récent de la conscription à l'armée de métier.

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Titre : Winston et Clémentine CHURCHILL «Conversations intimes (1908 – 1964)»
Auteur(s) : Madame le Professeur Françoise THIBAUT
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