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Frappes de drones au Pakistan: une campagne aérienne bel et bien pilotée…

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Il paraît intéressant, à l’heure où la France va se doter de drones armés, de tenter de dresser un bilan de des frappes Américaines en Afghanistan pour être à même de s’interroger sur les limites que présente l’utilisation de ces moyens. Cet article montrera que les drones ne constituent en rien une panacée et que leur efficacité est conditionnée par l’existence d’un dispositif, à la fois humain et technique, à même de fournir des renseignements précis et actuels afin de savoir où et quand frapper.


Le 28 septembre 2010, le journal Le Monde évoquait une brusque intensification des frappes de drones dans les zones tribales pakistanaises[1], y voyant une tentative de la Central Intelligence Agency américaine de déjouer un complot terroriste en Europe[2]. Relayant des articles du Wall Street Journal et du New York Times, le quotidien français faisait état d’une forte recrudescence des frappes de drones dans le courant du mois de septembre 2010, avec une vingtaine d’attaques, et évoquait par ailleurs la conduite de trois incursions héliportées américaines en territoire pakistanais. Au-delà du débat de droit international que ces frappes et ces incursions ont généré, et à l’heure où la France s’interroge sur l’éventuelle nécessité de se doter de drones armés de type Reaper[3], se pose la question de l’utilité et de l’efficacité de ces frappes. À ce titre, il apparaît pertinent de tenter d’en dresser un bilan avant d’examiner les limites qui peuvent les caractériser

 

Bilan des frappes de drones dans les zones tribales pakistanaises

Depuis juin 2004, les États-Unis ont procédé à 195 frappes de drones dans le cadre de leur campagne aérienne contre les zones tribales pakistanaises. 185 frappes ont été conduites depuis l’été 2008, illustrant de manière criante l’intensification décrite par la presse et par les sources ouvertes.

Au cours de ces six années, les frappes se sont principalement concentrées sur les territoires des agences pakistanaises du Nord Waziristân (69%) et du Sud Waziristân (26%). Il convient toutefois de noter que cette répartition géographique est largement évolutive et que les attaques suivent les objectifs qui leur sont impartis. La répartition entre ces deux agences s’est ainsi renversée suite aux offensives de l’armée pakistanaise au Sud Waziristân. Les frappes visant cette agence sont passées de 51% à 7% entre 2009 et 2010. Parallèlement, la proportion s’est renforcée pour le Nord Waziristân (91% des frappes de l’année 2010 contre 42% en 2009) où bon nombre de militants ont trouvé refuge lors des opérations pakistanaises.

Depuis 2006[4], les attaques de drones auraient fait 1.600 morts parmi les terroristes et les insurgés que visent les missiles américains. Ce chiffre cache une augmentation de l’efficacité des frappes, qui causent un nombre de morts de plus en plus important (près de dix morts par frappe en 2009 contre huit en 2008).

Il apparaît clairement que le principal objectif des frappes de drones est de viser et d’éliminer l’état-major du groupe terroriste Al Qaïda et ses cellules opérationnelles réfugiées dans les zones tribales pakistanaises, afin de leur interdire de frapper l’Europe ou les États-Unis. Les attaques ont ainsi visé des zones réputées accueillir des autorités ou des opérationnels qaïdistes, ainsi que leurs infrastructures de commandement ou d’entraînement. Selon les données fournies par les sources ouvertes[5], 16 membres de l’état-major d’Al Qaïda auraient ainsi péri depuis janvier 2008.

L’objectif secondaire assigné à la campagne semble être de perturber le commandement et la logistique de l’insurrection afghane dont les instances sont réfugiées au Pakistan. Les frappes s’inscrivent ainsi pleinement dans l’actuelle doctrine américaine de contre-insurrection, permettant de s’affranchir de l’obstacle des frontières internationales décrites par David Galula comme favorisant l’insurrection[6]. La nature des zones visées confirme cet état de fait, dans la mesure où l’agence du Nord Waziristân concentre l’essentiel des attaques de drones, particulièrement dans la région de Miram Shah, qui est réputée constituer le fief pakistanais du réseau Haqqani, l’une des composantes de l’insurrection afghane, et accueillir par ailleurs bon nombre de militants du jihad international.

Au-delà de ces deux objectifs, les frappes de drones visent également les groupes terroristes menaçant la stabilité de l’État pakistanais, au premier rang desquels figure le Tehrek e Taleban Pakistan (TTP). Plusieurs journalistes émettent à cet égard l’hypothèse d’une collaboration américano-pakistanaise, laquelle expliquerait que les protestations du Pakistan à l’encontre de ces frappes restent somme toute symboliques[7]. Le meilleur exemple d’objectif partagé par les Pakistanais et les Américains est sans doute l’élimination, le 5 août 2009[8], de Baitullah Mehsud, alors chef du TTP.

Ayant constaté que les frappes de drones, semblant poursuivre des objectifs précis et viser à affaiblir à la fois les organisations terroristes internationales et les instances de l’insurrection afghane, localisées dans les zones tribales pakistanaises, ont connu une nette recrudescence au cours des trois derniers années, il convient maintenant d’examiner la question de leurs limites.

 

Les limites de l’utilisation des drones et débat stratégique afférent à ces dernières

Les frappes de drones soulèvent deux difficultés. La première, d’ordre éthique, concerne la question des victimes civiles collatérales alors que la seconde, d’ordre stratégique, tend à mettre en doute leur efficacité.

Depuis 2006, les frappes de drones auraient fait 104 victimes civiles[9]. Cette estimation résulte des chiffres publiés par la presse pakistanaise et des communiqués issus à la fois des armées américaines et des groupes insurgés et militants. Remarquablement bas, ce chiffre est à mettre en perspective avec le nombre de frappes et les pertes enregistrées parmi les militants. Les experts américains estiment que la précision des frappes augmente et que celles-ci causent de moins en moins de victimes collatérales, lesquelles représentaient 9,5% des victimes entre 2006 et 2009, ce chiffre étant passé à 8,5% depuis 2009.

Au-delà de ce chiffre, se pose toutefois la question de l’utilité de ces frappes qui, en dépit de leur nombre et des pertes causées, ne mettent pas à mal la volonté des individus ciblés, ne les amenant pas à cesser leurs activités terroristes et n’incitant pas les groupes insurgés afghans à négocier. Ainsi, le réseau Haqqani maintient sa position radicale en dépit du fait qu’il est l’un des principaux objectifs des attaques de drones, ayant essuyé 51 frappes tout en ne subissant au final que 8 pertes significatives dans sa hiérarchie. Le débat sur l’efficacité des drones rejoint ainsi celui sur la primauté à accorder, conformément aux théories John Warden[10], à l’arme aérienne, et il est intéressant de constater que la campagne aérienne officieuse contre les zones tribales pakistanaises soulève peu ou prou les mêmes doutes que celle de l’OTAN au Kosovo en 1999 et celle d’Israël au Liban en 2006.

Nombreuses sont les voix, parmi la communauté militaire américaine comme parmi celle du renseignement, se prononçant en faveur d’incursions en territoire pakistanais pour y procéder à des coups de main contre des «cibles de haute valeur»[11]. En octobre 2010, l’Institute for the Study of War, l’un des multiples «think tanks» américains s’intéressant aux affaires de défense, a ainsi publié un rapport[12] consacré au réseau Haqqani préconisant non seulement d’intensifier encore davantage la campagne de frappes de drones, mais aussi de mener des opérations de forces spéciales au Pakistan. Si des rumeurs persistent au sujet de l’existence de tels raids, les États-Unis n’ont reconnu avoir conduit qu’une seule opération le 3 septembre 2008[13]. L’ampleur des protestations d’Islamabad avait alors montré que le Pakistan conserve entière sa susceptibilité quant à sa souveraineté: quand bien même il tolère que les États-Unis procèdent à des tirs de missiles depuis les plates-formes que sont les drones armés, les protestations d’Islamabad cessent d’être symboliques dès lors que son territoire subit des attaques terrestres. Il y a fort à parier que de telles incursions ont peu de chances d’être renouvelées tant les conséquences internationales, à la fois politiques et juridiques, paraissent importantes.

 

En conclusion, il convient de considérer les drones armés comme un outil de plus dans un arsenal militaire. S’ils présentent des avantages incommensurables en termes de coût, de rayon d’action et d’endurance, il convient néanmoins de souligner qu’ils ne sont efficaces que si leur utilisation s’inscrit dans le prolongement d’un dispositif de renseignement, à la fois humain et technique, performant et pérenne. En tout état de cause, les frappes de drones ont au moins le grand mérite, dans l’actuel contexte de débat sur la stratégie à suivre en Afghanistan, de rappeler le but initial de l’entrée en guerre des États-Unis en octobre 2001: détruire Al Qaïda.

 

 

[1] Les zones tribales sont désignées depuis l’indépendance du Pakistan, en 1947, comme FATA (Federally Administered Tribal Areas). Islamabad y est représenté par des administrateurs au pouvoir limité par la très large autonomie tribale et par l’absence de l’armée comme de la police fédérale. Les FATA son divisées en sept agences qui sont, du nord au sud: Bajaur, Mohmand, Khyber, Kurram, Orakzai, Nord Waziristân, Sud Waziristân.

[2] http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/09/28/la-cia-intensifie-ses-attaques-au-pakistan-pour-dejouer-des-attentats-en-europe_1416904_3216.html

[3] Cf. article Le futur drone français sera-t-il américain? de Jean Guisnel, sur http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/jean-guisnel/le-futur-drone-francais-sera-t-il-americain-23-11-2010-1266059_53.php

[4] Les chiffres ne sont pas disponibles pour les années 2004 et 2005.

[5] Cf. http://www.longwarjournal.org.

[6] Cf. «Contre insurrection, théorie et pratique», p. 57 (Ed. Economica, 2008).

[7] Cf.http://online.wsj.com/article/SB10001424052748704029304575526270751096984.html: CIA escalates in Pakistan Pentagon Diverts Drones From Afghanistan to Bolster U.S. Campaign Next Door.

[8] Cf. http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2009/08/07/le-chef-des-talibans-pakistanais-aurait-ete-tue_1226451_3216.html.

[9] Cf. http://www.longwarjournal.org/"Casualties from Predator strikes inside Pakistan: Civilian vs. Taliban/Al Qaeda".

[10] Cf. «La campagne aérienne, planification en vue du combat» de John Warden III, Ed. Economica 1998.

[11] Selon l’acronyme HVT pour high value target.

[12] http://www.understandingwar.org/report/haqqani-network.

[13] http://www.time.com/time/world/article/0,8599,1840383,00.html.

 

Fantassin, le Chef de bataillon LAMBERT suit actuellement, au titre du diplôme technique, un mastère 2 de géopolitique de l’École normale supérieure et de l’université de Paris I.

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Titre : Frappes de drones au Pakistan: une campagne aérienne bel et bien pilotée…
Auteur(s) : le Chef de bataillon Yann LAMBERT
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